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Quel étrange destin que celui du quartier de la Fosse ! De l’ancien faubourg devenu l’épicentre de la traite négrière en France au XVIIIe siècle, jusqu’aux embouteillages monstres d’aujourd’hui, l’histoire du quai de la Fosse oscille entre ombre et lumière.

LA FOSSE : UNE HISTOIRE PORTUAIRE

L’activité bouillonnante du quai de la Fosse a longtemps été un sujet de prédilection pour de nombreux artistes. Les œuvres de William Parrot, Jules Grandjouan et même William Turner, sans oublier les nombreuses photographies du début du XXe siècle immortalisant le spectacle fascinant qui se jouait chaque jour le long du quai, en sont un véritable témoignage. Cette histoire portuaire démarre au début du XVIIe siècle, lorsque la croissance du trafic maritime du port de Nantes entraîne le glissement des activités portuaires depuis le Port-au-Vin (actuelle place de la Bourse) vers les grèves du faubourg de la Fosse en aval. En 1625, on compte plus de 600 mètres de nouveaux quais permettant l’amarrage de vaisseaux au tonnage important. Au XVIIIe siècle, un front bâti portuaire, où se succèdent les nombreux hôtels de négociants et armateurs, s’organise le long d’une promenade plantée d’ormes à l’alignement du quai. Aux XIXe et XXe siècles, alors que les activités du port de Nantes dérivent toujours plus vers l'aval, le partage progressif de la chaussée que ce soient le chemin de fer, le tramway, les voies hippomobiles puis automobiles, n’aura de cesse de marquer une césure durable entre le quai et le quartier de la Fosse, plus largement entre le port et la ville.

Inventaire du Patrimoine

La fosse est sans contredit, l’endroit le plus agréable, le plus riche et le plus actif de Nantes ; il formerait lui seul, une ville considérable… ce qui ajoute à l’agrément de ce quartier, c’est l’admirable vue de la Loire couverte de navires et de bateaux. Ce point de vue fait comparer la Fosse de Nantes à la fameuse perspective de Constantinople.

Jean-Baptiste Ogée, 1780.

Le souvenir de la traite négrière

 

Dans les entrailles du quai de la Fosse, confiné au ras du fleuve entre les pilotis de béton de l’estacade, le Mémorial de l’abolition de l’esclavage évoque sans ambiguïté l’entrepont d’un navire négrier. Des élèves d’une classe de seconde visitent le lieu et préparent un exposé. Prise de notes sur Smartphone, qui donneront à peu près cela : « Pour la seule traite atlantique, celle organisée par les Européens, plus de douze millions d’hommes, de femmes et d’enfants furent capturés, achetés puis revendus. On estime que trois millions d’entre eux ont péri lors de leur capture ou lors de la traversée vers le continent américain. »

En surface, deux mille pavés de verre sont disséminés sur le quai. Quelques-uns indiquent les comptoirs négriers d’Afrique, des Antilles, des Amériques et de l’océan Indien, mais la plupart (1 710 exactement) mentionnent le nom des navires négriers nantais impliqués dans le commerce triangulaire qui fit de Nantes, au XVIIIe siècle, le premier port de France. Impossible de traverser l’esplanade sans laisser son regard tomber sur « Le Brave, navire négrier parti de Nantes en 1715 », « Le Juste, navire négrier parti de Nantes en 1722 », « La Fortune, navire négrier parti de Nantes en 1732 » ou encore « Les Amis, navire négrier parti de Nantes en 1826 » …

Des Rives

Le Saint-Édouard

Les yeux rivés au sol, je recherche en vain le pavé de verre qui mentionne « Le Saint-Édouard, navire négrier parti de Nantes en 1741 ». Il y est pourtant, noyé parmi les milliers d’autres qui marquent le Mémorial de l’abolition de l’esclavage. (…). Beaucoup d’expéditions négrières partaient non pas de Nantes mais de ses avant-ports, comme Paimbœuf. Certaines avaient bien Nantes comme point de départ. En 1741, le quai de la Fosse était depuis plus d’un siècle un solide embarcadère enroché en pierres de taille, de 600 m de long depuis la place de la Bourse jusqu’au pont Anne-de-Bretagne.

Le Saint-Édouard est un navire marchand de 90 tonneaux, modeste pour l’époque, acheté d’occasion par un petit armateur irlandais installé à Nantes, George Eustache. Il stationne à l’embouchure de la Chézine, une petite rivière aujourd’hui busée mais dont les eaux se jettent justement quai de la Fosse, au niveau du ponton du Belem, à deux cents mètres du Mémorial. Difficile de se représenter ce coin de Nantes au xviiie siècle. On sait que vers la Chézine, le quai n’est pas encore enroché. Le Saint-Édouard mouille dans la Loire face à une rive boueuse et parsemée de pontons en bois pour les petites embarcations. Des entrepôts, des ateliers, des charpentiers occupent le rivage. Certains s’activent à bord du navire qui s’apprête à lever l’ancre. Son voyage triangulaire vers l’Afrique et les Antilles ne se déroulera pas comme prévu.

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