Indre
A quelques kilomètres en aval de Nantes, la commune d’Indre est formée de trois îles : Haute et Basse-Indre en rive nord, Indret en rive sud. Les travaux d’amélioration de la Loire ont pourtant effacé ce caractère insulaire. Incarnée par la présence de plusieurs communautés de pêcheurs, marins et pilotes de Loire, la vocation maritime a longtemps forgé l’identité de la commune. Indre, c’est aussi une très ancienne et formidable histoire industrielle dont le son des machines résonne encore le long du fleuve.
HAUTE-INDRE ET “LA BORDELAISE”
Près d’un siècle après sa construction par la Compagnie Bordelaise en 1926, l’usine de produits chimiques – ou ce qu’il en reste – est dans toutes les mémoires locales. Les Indrais la surnomment encore aujourd’hui « la Bordelaise » alors qu’elle était passée sous pavillon AZF bien des années avant son démantèlement. En 1922, le conseil municipal d’Indre avait émis un avis défavorable à l’installation de l’usine, tout comme les communes environnantes de Saint-Herblain, Couëron ou La Montagne, en face. Las, le préfet avait donné son accord pour édifier cette fabrique classée parmi les établissements « dangereux, insalubres et incommodes ».
Nous progressons dans un sous-bois, passons un étier sur un pont vermoulu, traversons un marécage où les roseaux nous barrent la vue et débouchons sur la Loire. À cent mètres en aval, le quai est bien là, inaccessible et abandonné. Les grues de déchargement sont démontées depuis longtemps. Sur l’autre rive, des estacades en ruine ne soutiennent plus qu’un tablier grignoté. D’après notre carte, il s’agit des appontements qui servaient à charger les rochers arrachés à la carrière de Roche-Ballue, à Bouguenais. Les deux embarcadères se font face comme dans un jeu de miroirs. Chacun s’effrite à son rythme, très lentement, cédant un à un à la Loire des fragments de béton qui laissent affleurer leurs squelettes d’acier. Les rives sont envahies par une végétation dense. La Loire sauvage reprend ses droits.
BASSE-INDRE : UN BOURG INSULAIRE
A quoi pouvait bien ressembler l’îlot de Basse-Indre lorsque, vers l’an 670, la barque du moine saint Hermeland s’échoua sur la rive pour y fonder un monastère à la demande de l'évêque de Nantes ? Difficile à dire, mais le lieu présentait certainement quelques avantages : assez élevé pour se protéger des inondations, accessible en bateau, adapté à la culture de la vigne et propice à la médiation par la contemplation du paysage depuis le sommet de la butte rocheuse. Mais le monastère d’Indre ne résista pas aux incursions normandes durant la première moitié du IXe siècle et le site fut saccagé.
Si l’on assiste à une hausse du trafic sur le port de Basse-Indre au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, le bourg ne dispose alors d’aucun équipement portuaire dédié, seulement des zones d’échouage le long de la rive. Ce n’est qu’à partir du milieu du XIXe siècle, à la faveur des travaux d’amélioration des ports de la Basse-Loire, que les rives du bourg de Basse-Indre acquièrent leur physionomie actuelle. Ainsi, durant près d’un demi-siècle, les ingénieurs des Ponts et Chaussées procèdent à l’alignement des rives et à la construction de zones d’abris et de mise à l’eau des embarcations. Sur plus d’un kilomètre, le front bâti s’organise et propose des architectures aux formes variées : cafés, maisons modestes de pêcheurs, demeures de notables ou encore villas aux accents balnéaires s’offrant un balcon sur la Loire. Entre les platanes, les quais sont équipés d’étendoirs appelés « andouillers » pour faire sécher les filets de pêche et le linge.
Cette transformation du bourg, entre le XIXe et la première moitié du XXe siècle, est également soutenue par la création de l’établissement des Forges de Basse-Indre au début des années 1820, à l’endroit d’un ancien chantier de construction navale. Première forge à l’anglaise installée dans l’Ouest de la France, l’usine métallurgique se spécialise progressivement dans la production de fer-blanc nécessaire aux industries de la conserve alimentaire. Avec près de deux siècles d’activité, le site des Forges de Basse-Indre (aujourd’hui Usinor Packaging, filiale d’Arcelor-Mittal) demeure en activité et continue de produire des emballages alimentaires métalliques.
PORTRAIT DE MICHEL ANDRÉ
Les Indrais restent attachés à la dernière grosse usine de la commune, la ferblanterie d’Arcelor-Mittal. Une pause-café au Relais du Bac nous aura permis d’apprendre que l’on arrive au Ciel en dépassant le quai Jean-Bart, vers l’usine… Créé par d’anciens employés, le Ciel (Conservatoire de l’Industrie de l’Estuaire de la Loire) se niche dans l’ancienne imprimerie sur métal, aujourd’hui désaffectée. Michel André, son directeur, nous attend dans cet espace de trois mille mètres carrés recouvert d’un toit en sheds dont certaines verrières menacent de s’affaisser. Il a fait toute sa carrière à l’usine, dans les ressources humaines. La voix grave, une tête de capitaine au long cours, il cultive sa passion pour l’industrie estuarienne. Dans la lumière blanche que diffusent les vitrages de la toiture – orientés nord pour éviter d’éblouir les ouvriers, précise-t-il –, Michel André déambule entre une collection de vieux tracteurs et les machines d’une menuiserie de l’estuaire qui a fermé ses portes en léguant au Ciel tout son matériel. « Mais attention ! N’allez pas y voir un musée pour nostalgiques d’une industrie déclinante ! Nous en faisons un conservatoire-école où le passé sert à préparer l’avenir. Lors des Journées du patrimoine, les meilleurs ouvriers de France témoignent de leur parcours et renseignent les jeunes sur des métiers dont on ignore qu’ils sont encore très porteurs, comme la chaudronnerie. Vous connaissez la chaudronnerie ? »
INDRET
En rive sud, vis-à-vis du bourg de Basse-Indre, se dresse la fameuse île d’Indret qui compte parmi les plus anciens sites industriels de l’estuaire de la Loire. Comprise dans le domaine du duché de Bretagne depuis le Moyen Âge, le duc Jean V y fait construire, durant la première moitié du XVe siècle, une résidence ducale, probablement un manoir destiné à une occupation saisonnière. En 1777, de Sartine, ministre de la Marine de Louis XVI, choisit l’île d’Indret appartenant au domaine royal, pour établir une fonderie de canons. La particularité du site d’Indret est d’utiliser l’énergie hydraulique pour forer les canons. L’action conjuguée d’une retenue d’eau maintenue un système de digues et de l’énergie marémotrice entraîne le moulin de la forerie. En 1781, l’établissement d’Indret devient Manufacture royale de bouches à feu. Dans les années 1820, la fonderie de canons d’Indret est reconvertie et se spécialise dans la fabrication de machines à vapeur pour les besoins de la Marine. Aujourd’hui, le site est toujours spécialisé dans la propulsion navale, en particulier dans la production d’appareils propulsifs destinés aux sous-marins nucléaires de la marine française.